À Saucats, en Gironde, des énergéticiens projettent de construire la plus grande centrale solaire d’Europe. Mais produire de l’électricité propre justifie-t-il de raser 1 000 hectares de pins dans une forêt vulnérable aux incendies ?
« Regardez ! ça veut dire que, là, il y aurait des panneaux solaires partout, des deux côtés de la route. Moi, ça me rend malade ! »
Claudine s’agrippe à son volant, en conduisant sur le long chemin forestier. Le paysage est quelque peu monotone. Des rangées de pins alignés, de différents âges selon les parcelles, laissent parfois place à des clairières en friche. Nous sommes dans la commune de Saucats, 3 300 habitants, à une vingtaine de kilomètres au sud de Bordeaux.
Dans les années à venir, cette physionomie si caractéristique de la forêt des Landes de Gascogne pourrait radicalement changer. La raison s’appelle Horizeo, du nom d’un projet des sociétés Engie et Neoen, épaulées par le Réseau de transport d’électricité (RTE), qui rêvent d’implanter ici une centrale photovoltaïque. Objectif : début des travaux dans deux ans, pour une mise en service en 2026. Mille hectares de panneaux solaires, mais aussi des batteries de stockage et, éventuellement, un site de production d’hydrogène, au prix d’un déboisement significatif. On ne parle pas d’un simple champ : la surface concernée est plus grande que le XVe arrondissement de Paris. Rien de moins, si le projet va au bout, que la plus grande centrale solaire d’Europe.
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La perspective terrifie Claudine, une retraitée qui habite le tranquille hameau bordant le terrain concerné. Comme Pascal et Véronique, qui, sur la banquette arrière, multiplient les soupirs de mécontentement. Ces riverains ont lancé une association, Horizon forêt, pour s’opposer à ce projet qu’ils ont découvert en 2021. « On est tout à fait pour les énergies renouvelables, mais pas comme ça. Mettre des panneaux solaires dans la forêt, c’est une hérésie » enrage Pascal. Un peu plus tôt, son épouse, Marlène, qui préside l’association, remontait l’historique, assise dans la salle à manger de la grande maison qui héberge Horizon forêt : « Au début, on nous a présenté ça comme une “ferme photovoltaïque”, vous noterez le choix lexical. En fait, ce qu’on a découvert, c’est un site industriel rural. On sacrifie 1 000 ha sur l’autel d’intérêts financiers. » Avec un budget de 600 à 800 millions d’euros, les promoteurs d’Horizeo voient grand. Et effraient des riverains attachés à cet environnement forestier si familier. « On a l’air de Gaulois face au camp de Babaorum, mais, en réalité, on sait que c’est un galop d’essai assure Pascal. Si ce projet réussit, il y en aura d’autres. »
« Horizeo est un projet unique » rétorque Mathieu Le Grelle, le directeur du développement. Quand nous le retrouvons le lendemain, il nous emmène d’abord au poste électrique de Saucats, parc clôturé de pylônes et de câbles. « L’une des plus grosses contraintes, quand on fait des énergies renouvelables, c’est le raccordement au réseau » explique-t-il. À 3 km de ce poste par lequel transitent les lignes à haute tension entre Bordeaux et l’Espagne, les porteurs du projet pensent avoir dégoté l’endroit idéal : un vaste terrain appartenant à l’une de ces familles qui, depuis des lustres, se partagent l’exploitation de la forêt des Landes. Le prix de la location, prévue pour au moins quarante ans, est confidentiel. Mais, ici, tout le monde a bien compris que les propriétaires toucheraient le jackpot, comparé à ce que leur rapportent le bois ou les chasses privées.
UN NON-SENS AUX YEUX DU GRAND PUBLIC On entend d’ailleurs quelques coups de fusil au loin, quand on arpente le site. Difficile, au milieu des pins et des broussailles, d’imaginer des panneaux solaires à perte de vue. Si le projet voit le jour, ils seront importés de Chine, la filière européenne étant balbutiante. « Ils sont complètement démantelables et recyclables à 95 % assure Mathieu Le Grelle. Dans quarante ans, on peut tout à fait les enlever : ils sont posés au sol, il n’y a pas de bétonnage. » Le responsable pousse l’argumentation : « Ce projet est cohérent avec les enjeux climatiques et l’accélération nécessaire de la production d’électricité. Nos besoins énergétiques s’accroissent, a fortiori depuis la guerre en Ukraine. » Horizeo promet de fournir une quantité électrique de 1,6 TWh sur un an. Soit un quart de la production d’un réacteur de la centrale nucléaire du Blayais (qui en compte quatre), au nord de Bordeaux.
Les promoteurs ont patiemment déroulé leur argumentaire lors du débat public conclu en début d’année. Pas de quoi résoudre le dilemme au cœur de ce projet : la production d’une énergie décarbonée justifie-t-elle de raser 1 000 ha de forêt ? Aurélie de Domingo, qui fait partie des garants de la concertation nommés par la Commission nationale du débat public, résume l’état d’esprit local : « Il y a plutôt une adhésion au principe de développer les énergies renouvelables. Mais on constate vraiment une rupture quand on parle de déboisement. Cela semble un non-sens au grand public. » Les porteurs du projet promettent de replanter le double ailleurs, sans que l’on sache précisément où.
Dans le centre-bourg, que l’on traverse sous un temps maussade, le maire, Bruno Clément, nous accueille dans son bureau, le sourire aux lèvres : « Il pleut, enfin ! » Un soulagement, alors que les incendies de l’été ont douloureusement marqué la région. Saucats a été épargnée, mais ses habitants ont vu, au loin, la lueur des flammes qui ravageaient les forêts voisines d’Hostens, de Saint-Magne ou de Landiras. Au total, 30 000 ha sont partis en fumée en Gironde. Et le drame s’est invité dans le débat Horizeo. Est-il bien raisonnable d’installer des panneaux solaires au milieu d’arbres guettés par le risque d’incendie ? Les opposants agitent le risque d’un « dôme de chaleur » au-dessus de la centrale, les partisans émettent l’idée que le parc pourrait, au contraire, servir de pare-feu. La vérité, c’est que personne n’en sait rien. « La population est très partagée, et les incendies peuvent rebattre les cartes » reconnaît volontiers le maire. Lui est favorable au projet : les retombées économiques et fiscales soulageraient les caisses de la commune. Mais il reste prudent : « Il faut attendre le retour d’expérience sur la gestion des incendies et les études complémentaires. »
Les porteurs du projet ont, en effet, commandé de nouvelles expertises pour répondre à des interrogations qui ont émergé du débat public. Notamment sur le rôle thermorégulateur de la forêt des Landes, ce million d’hectares qui tempérerait le climat girondin de manière bienvenue. Ou les conséquences du défrichement sur le risque d’inondation, car les pins, en puisant dans la nappe phréatique, permettent la rétention d’eau. À 5 km de là, les propriétaires viticoles de la prestigieuse appellation Pessac-Léognan s’inquiètent. « La proximité de la forêt des Landes est primordiale pour nous alerte Jacques Lurton, qui préside leur syndicat. Personne ne nous a apporté la preuve scientifique que ce projet n’aura pas d’impact sur notre climatologie, et donc sur notre capacité à produire du bon vin. On sent que les promoteurs naviguent à vue. »
LES TERRAINS ARTIFICIALISÉS NE SUFFIRONT PAS La méfiance a aussi gagné la filière sylvicole, qui pèse lourd dans cette forêt majoritairement plantée au XIXe siècle et exploitée de manière intensive. « Il apparaît une tendance majoritaire pour redonner de la force à cette forêt landaise, qui fournit du travail à des milliers de personnes et fait partie du paysage et de la culture » affirme Daniel Delestre, président de la Sepanso, une fédération régionale d’associations de protection de l’environnement. « Ne jouons pas aux apprentis sorciers avec la forêt » abonde Benoist Aulanier, vice-président écologiste de la communauté de communes, qui soulève une question mille fois entendue à Saucats : pourquoi ne pas installer des panneaux solaires d’abord sur des surfaces déjà artificialisées, plutôt qu’au milieu des bois ? « La priorité, c’est l’installation systématique de panneaux sur toute nouvelle construction. Faisons-les sur des centres commerciaux et des parkings. La loi impose une obligation de recouvrir 30 % de la toiture des bâtiments commerciaux, ce n’est pas assez. »
Le sujet est au menu d’un projet de loi visant à accélérer l’éolien et le solaire, qui doit être discuté au Parlement cet automne. Mais Alexandre Roesch, délégué général du Syndicat des énergies renouvelables, prévient : « Si l’on veut remplir les objectifs de la trajectoire de transition énergétique, il faudra 100 GW de solaire d’ici à 2050, contre 15 aujourd’hui. Cela nécessitera environ 3 000 ha par an. On en trouvera évidemment une partie sur les terrains artificialisés, mais on n’y arrivera pas sans développer du solaire au sol. » Les énergéticiens sont confortés par Emmanuel Macron, qui a promis, en septembre, d’aller « au moins deux fois plus vite pour les projets d’énergies renouvelables ». Ce qui pèsera dans l’avis des services de l’État, à qui il reviendra in fine d’autoriser ou non la construction d’Horizeo. « Les éléments du projet de loi visant à accélérer le développement des énergies renouvelables sont de nature à faciliter l’action des porteurs du projet », glisse-t-on, l’air de rien, à la préfecture de la Gironde. Mais l’enjeu, à long terme, est l’aménagement de cette forêt qui suscite les convoitises, parfois sans scrupule. Alors que les cendres des incendies de l’été fumaient encore, le maire de la commune voisine de Landiras a été contacté par des promoteurs peu délicats, qui ont manifesté leur intérêt pour installer des panneaux solaires sur les portions sinistrées… La guerre des hectares a commencé.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] : c'est sûr que c'est sujet aux incendits, mais il serait plus utile pour la nature et la bio diversité de planter des arbres qui craignent pas ou moins le feu !! et puis franchement, en France on a des millions d'hectares de bâtiments industriels, pourquoi ne couvre t-on pas les toits bien exposés de panneaux solaires? En tout cas, il ne faut plus se demander pourquoi il y a eu autant d'incendies cet été ...
ça fait des lustres qu'on leur dit d'arrêter de planter des résineux, dans le sud ... mais ça pousse vite, c'est du profit...
et ça fait des lustres aussi qu'on incite à placer des panneaux solaires sur toutes les toitures grand format : usines, écoles, HLM, hypermarchés, parkings couverts, etc... ça commence à se faire, enfin !!!
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poussinfanget
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Un grand merci pour ta fidélité et pour ta gentillesse
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J'ai la joie de vous annoncer que votre assiduité a été récompensée
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De la part de toute l'équipe de "Petite Feuille" nous vous remercions, vous tous, pour votre participation et votre soutien !
Détruir la fôret (qui permet de stocker le CO2) pourà la place construire des centrales solaires (qui permettent de ne pas en émettre) est un non sens absolu.
"Vos lois sont assurément égales pour tous, sauf pour ceux qui ne sont pas d'accord avec vos lois sacrées."
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Dylan
Club des Sensibilités Différentes
Bienvenue dans le Club des Sensibilités Différentes
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Pourquoi détruire la nature, alors que des surfaces comme les toits sont à disposition en grand nombre ? Ils devraient suivre le modèle allemand ou on privilège les constructions sur les bâtiments en ville comme en campagne.
Alors, pourquoi ne pas couvrir massivement nos toits de panneaux ? Si aujourd’hui les puissances installées en solaire se répartissent à cinquante-cinquante au sol et sur du bâti, la dynamique est clairement en faveur des installations à terre. D’abord parce qu’installer sur une construction existante coûte paradoxalement encore trop cher [1], ou dégage une rentabilité moindre qu’au sol.
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Pour mettre dans panneaux sur un toit, il faut plusieurs critères. Déjà un ensoleillement régulier une surface située pas en direction nord la couverture du toit pencher ou plat voilà quelques questions à se poser avant de prévoir la pose de panneaux.